J’entendis de la musique, et cela me plut, car dans mes quelques petits souvenirs de vagabonde, il y avait déjà la joie de marcher dans une ville et d’entendre quelque mélodie par delà des maisons. Je plongeai dans les rues et ruelles, suivant le flair de mes oreilles, je découvris une petite cour dans laquelle des groupes adolescents jouaient une musique punk.
Je me tint là, silencieuse, et fermai les yeux.
C’est un jeune Catalan qui me fit briser mon silence, me demandant d’où je viens, où je vais, et toutes ces questions que l’on me posera des milliers et milliers de fois. J’étais avide de rompre la solitude. « Je vais à Stockholm en auto-stop », lui dis-je simplement.
Il me raconta sa vie : comment il s’était retrouvé en Suède, travaillait pour Siemens, ne parlait pas suédois, et qu’ayant contribué au système social pendant plusieurs années, il se répugnait à quitter un pays qui lui offrait une si grande qualité de vie. Il m’offrit la compagnie, le couvert et le gîte, accompagné d’une affection que je refusai. Était-il possible que chaque fois que l’on m’offrirait spontanément le gîte, je devrais m’attendre à ce type d’offre et d’insistance ? Cette pensée me déçut.
Je me réveillai en sursaut, tempes humides, bouche sèche. L’informaticien dormait toujours et je pris soin de ne pas le réveiller. Mon sac était déjà prêt. Je n’en avais pas encore l’habitude, mais je connaissais déjà le rituel, instinctivement. C’est ainsi que ça se passe, et que ça se passera presque chaque fois, pour les mois, pour les années à venir. Je quittai l’appartement silencieusement.
Une fraîche brise d’été soufflait sur Lund en ce matin sans nuage. Je me dirigeai vers le jardin botanique pour le traverser au moins une fois, puisqu’il est gratuit. Avant de prendre la route de Kristianstad, je ressentais le besoin vital de me faire caresser les yeux d’une rivière de mots suédois, d’échantillons de la végétation alpine, des odeurs de fleurs de cactus et de couleurs tendres. Je me suis imaginée étudiante dans cette ville tranquille qui me charmait. Je devais cependant poursuivre le rituel et la quitter.
J’apprenais les codes de la vie des néo-nomades, sans le savoir, en toute innocence. J’embrassai le grand séquoia de Chine et marchai plein est. Pas après pas, rue après rue.
L’autoroute se laissa découvrir au beau milieu d’un quartier industriel, et j’ose me répéter, tout cela se revivra encore et encore dans les années qui suivront. Ce cheminement est vécu à l’identique : chaque ville possède une autoroute ou une route nationale sur laquelle s’attelle un quartier industriel ou commercial, chaque ville se quitte au matin dans le silence, entre les branches, au cœur de tout.
Chaque ville se quitte en marchant, en posant son sac et en levant le pouce.
Une voiture s’arrêta. Une femme à l’intérieur me demanda où j’allais. Je pointai la destination sur la carte après tant de tentatives ratées de prononcer « Kristianstad ».
Kriˈɧansta, je te hais, tu es imprononçable pour moi et je ne peux que te montrer du doigt sur la carte de Skåne…
La femme parlait un anglais impeccable avec un accent américain, comme tous ces Scandinaves qui ont trop regardé de soaps du nouveau monde. « Je ne vais pas à Kriˈɧansta », me dit-elle, « mais je peux vous déposer à un bon endroit sur la route de Kriˈɧansta. » Mince, ce qu’elle le prononce bien, son suédois… Bien sûr, je montai. On parla. Des femmes, de la vie, du stop, du voyage, de l’Amérique et de ses arbres et de notre absence de vocabulaire anglophone pour décrire les espèces que l’on connaissait, et le rouge suédois, cette couleur sang-de-boeuf issue des mines de cuivre de Falun, plus au nord, et qui tachette le paysage verdoyant de larmes rougeâtres.
« Je vous dépose à Kivik, c’est un village où les riches bourgeois, les acteurs et les chanteurs de Suède possèdent une résidence secondaire. Je vais d’un autre côté, mais là est la direction de Kriˈɧansta. Vous pouvez même visiter le village si vous le voulez ! Tenez, prenez une pomme. J’espère que vous n’attendrez pas trop. J’ai aimé cette promenade avec vous, bonne chance! »
Je levai mon pouce une deuxième fois.
Une voiture s’arrêta aussitôt.
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