Bravons la route : Nous ne sommes pas des auto-stoppeurs

Interview-rencontre avec Oussama et Jean-Christophe de Bravons la route. Leur page Facebook par ici.

Ils avaient répondu tout de suite positivement à ma proposition de les interviewer et de surfer sur la vague polémique que leur présence médiatique et mon commentaire avait suscité sur les médias sociaux.  « C’est vrai que nous on est un peu nouveaux dans le truc, c’est la deuxième année seulement. Toi ça fait… ? » Quatorze ans. Ça fait 14 ans que je vis de façon nomade.

« On est conscients qu’on est un peu les Nabila de l’auto-stop »

 

Mon réflexe était de dire qu’il n’y a pas de petite aventure, qu’un projet peut pousser les gens à se dépasser et à aller très loin, mais que de trouver des sponsors pour un voyage pratiquement gratuit qui n’avait rien d’exceptionnel, ça relevait soit du talent soit d’un type de culot que je préfère ne pas avoir. Si ça ne m’a pas scandalisé, il est vrai que ça m’a fait me poser des questions.

J’avais proposé un interview-déconnade en ligne. Le duo m’avait plutôt invité à passer les voir à 150 km de là, mais nous avions plutôt opté pour une rencontre à mi-chemin, à Agen, car je devais aller y chercher ma soeur qui y arrivait en train. Avec 40 minutes de retard, ils sont arrivés en voiture à notre rendez-vous de la gare. « Ah, mais t’es jolie, c’est pour ça que tu ne voulais pas me donner ton numéro ! » J’ai dix ans de plus que lui. Visiblement, Oussama vient de donner un certain ton à cette rencontre, tandis que Jean-Christophe  m’apparaît plus silencieux derrière. « Tu fais un blog pour les auto-stoppeuses ? Mais c’est sexiste ça ! », me lance-t-il, sourire en coin. Je justifie de ma démarche en expliquant qu’au moment de fonder mon blog, il n’y avait pas de femmes qui s’affichaient comme auto-stoppeuses sur le Web francophone. S’enchaîne alors une fusillade de questions : de quoi je vis, comment je voyage, combien de vues sur mon site… Ma soeur adoptive, ne parlant pas le français, détecte que les choses ne se passent pas comme je l’espérais : je suis là pour discuter, les entendre et soudainement je me vois poussée à défendre ma vie professionnelle… Il reposeront la question à la fin de l’interview : « De quoi tu vis ? » Ça leur semble invraisemblable que je gagne ma vie ainsi. Oussama tentera même de me donner des conseils sur mes perspectives professionnelles.

Incapable de connecter avec mes interlocuteurs, je repars sur un interview plus formel. « Nous, limite, on s’en fout du stop, ce n’est pas notre principal intérêt.   Pour nous, l’important c’est la rencontre. » Ils ne sont pas des auto-stoppeurs. D’ailleurs, ils en ont pris un il y a deux jours. « Lui, c’est un vrai. Il voyage comme ça, il va autour de la France pour ses vacances. Nous c’est facultatif. » L’an dernier, ils avaient effectué un projet similaire d’Eindhoven à Auch. Pourquoi Eindhoven ? « Parce que y’avait des billets pas chers. »

« On est pas des auto-stoppeurs. Ce projet, on aurait pu le faire entre Agen et Auch. » Et pourquoi ne pas le faire alors ? « Parce que le différentiel de cultures n’est pas assez grand. Là on va faire le Danemark, l’Allemagne, la Belgique, la France. » Sauf qu’ils débutent le stop dès leur arrivée à l’aéroport, et qu’il y a 120 bornes jusqu’à la frontière. « On dormira à la frontière, ou juste après. »

La rencontre, oui, certes. Ils ont gardé des liens avec les gens rencontrés l’an dernier. « On s’est fait des vrais amis. » Mais pourquoi toute cette médiatisation ? « On veut mettre l’emphase sur la rencontre, les gens, les autres cultures, c’est ça qui nous distingue. » Je leur fait remarquer que des voyages comme ça, depuis Couchsurfing, il s’en fait plein et qu’on n’en fait pas tout un fromage. « Mais personne n’en parle ! Nous on rejoint un public qui ne connait pas ça, qui découvre. » Je leur parle des blogs, de  J’irai dormir chez vous – ils ne connaissent pas. « Ah si. On nous en a parlé, des fois. » me dit Jean-Christophe, autrement plus silencieux. « L’idée, c’est de passer d’une aventure qu’on vit à une qu’on partage. » Je ne saisis toujours pas en quoi leurs vacances sont si digne d’être partagées. Ils me parlent d’immersion culturelle. À raison de cinq nuits sur 2000 km, peut-on parler d’immersion culturelle ? « Mais oui, évidemment ! » Je suis sceptique. « On passe la soirée là, puis le lendemain matin encore on prend le petit-déj là avec eux et puis on garde contact… »

La médiatisation n’est pas si importante, à leurs yeux : 3 articles de journaux, 2 interviews à la radio et une à la télévision. « On a envoyé des communiqués de presse, parce que c’est ce que l’on fait quand on ouvre un blog. On n’a forcé personne à nous interviewer. C’est le travail de communiquant derrière qui ressort. Jean-Christophe est community manager et moi je suis dans le marketing. »

Et les sponsors ? Ça c’est une autre histoire. Je me demande quels sont les budgets : ils sont minimes, selon eux. « Notre voyage est tout défrayé. C’est zéro euro. Mais c’est surtout du matériel » Quel matériel ? Beh on a les tentes, les sacs à dos, le duvets… Je suis étonnée. Et la rencontre chez l’habitant ? « On a le matériel de camping au cas où. » Mais sur cinq jours ? Et le matériel de l’an dernier ? Les réponses resteront évasives.

Oussama a déjà fait pas mal de stop, Jean-Christophe moins. « Avec les scouts, j’ai fait de l’Égypte au Maroc en auto-stop. » S’ensuit une longue discussion sur le scoutisme. Je suis étonnée de savoir que ces groupes font faire du stop aux jeunes. « J’ai fait le jamboree du monde arabe, en Tunisie. » Il me parle du scoutisme comme d’un mouvement militaire qui vise à entraîner les jeunes en cas de guerre. Je lui pose des questions sur son périple, mais encore une fois je peine à comprendre. « Alors avec les scouts on se faisait poser au milieu de nulle part avec une boussole et il fallait se rendre à un endroit en particulier pour une certaine heure. » Et ils passaient des frontières ? Le discours n’est pas clair, j’ai l’impression de chipoter. Et le passage entre l’Algérie et le Maroc ? « À la nage ! » blague-t-il, décelant habilement mon piège. Mais non, ça passe à la plage à Saidia, plein de gens le font, et puis il y a les trafiquants… c’est connu ! » Eh bien, les scouts marocains, c’est l’aventure !

Questionnés sur le film de 45 minutes qu’ils annoncent comme retour de voyage, Ousamma et Jean-Christophe semblent soudain se braquer. « On voulait surtout dire que ça ferait pas trois minutes vingt. » Ont-ils l’intention de faire les festivals de voyage ? Pas vraiment, sauf si on les invite. Et pourquoi pas un format plus standard de 51 minutes ou 26 minutes pour la télé et les présentations ? Ils n’y ont pas pensé. « On va faire des petits teasers et des suivis auprès des médias qui nous ont interviewés. » Mais ça c’est loin, c’est le retour et on n’y pense pas encore vraiment. « L’année prochaine, on pourrait même être suivis par une équipe de professionnels. »

« Je crois que ce que tu devrais faire ressortir, ce sont les valeurs qui nous sont communes et qui nous définissent, non ? » Oussama semble me dicter quoi écrire et je lui fais savoir que je suis surtout ici pour comprendre, pas pour lui servir de publicité. Il rebondit là-dessus avec un sourire charmeur.

Un conseil pour les gens qui préparent un projet de voyage ? Ils sont unanimes : « Ne pas hésiter à communiquer sur le sujet ». Et pour les sponsors ? « Il faut y aller au culot ! Et d’abord se rapprocher d’entreprises qui ont des valeurs, et si possible des valeurs qui correspondent aux nôtres. » Et puis rester authentique, ne pas créer un personnage que l’on n’est pas.

Là-dessus, ils ont été authentiques ! Je leur souhaite bonne chance. « On va attendre ton article avec impatience. » Oussama relève mon demi-sourire. Je ne donne aucune explication. Nous nous séparons. J’ai complètement oublié de les prendre en photo.

 

20 Commentaires for “Bravons la route : Nous ne sommes pas des auto-stoppeurs”

Arnaud

dit :

Quelle arnaque, ces mecs. L’exemple parfait de la société du spectacle. Et ces journalistes qui ne trouvent tellement rien à raconter, prêts à sauter sur n’importe quel communiqué pour le relayer.

Aude

dit :

Ils m’ont enervée, là. Prétentieux, superficiels, arrogants… joli tableau pour des gens qui disent faire le focus sur l’ouverture. Ah et le coup de  » Ah, mais t’es jolie, c’est pour ça que tu ne voulais pas me donner ton numéro !  » ça donne juste envie de distribuer les baffes.

Bianca @La Grande Déroute

dit :

Oh là là… je suis… soit découragée, soit dérangée par ces propos.

Ces gars-là et moi, on n’a clairement pas la même définition de « rencontre » et « d’ouverture »! Et pour ce qui est de l’éthique et l’authenticité… meh.

C’est un peu n’importe quoi ( juste un peu?)… À croire qu’ils n’ont aucune idée de ce qui se trame dans le domaine des voyages, de l’auto-stop, du blogging-voyage, etc.

ouille.

Globestoppeuse

dit :

Oui, bon après, c’est tant mieux d’une certaine manière, le blogging voyage doit demeurer ouvert à tout un chacun… Il est vrai que ça s’organise beaucoup, mais la diversité nous rend riche… Bon, le public désherbera de lui-même. 😉 Je suis contente d’avoir tenté de comprendre. Avec ma soeur on a bien débriefé après. On a pensé, même d’un point de vue stratégique, les mecs ils n’ont pas été forts – ils savaient que j’avais un point de vue critique sur eux au départ (malgré mes tentatives de neutralité) et l’idéal aurait été de faire un profil bas et humble pour que je présente leur point de vue inexpérimenté et naïf… Ils ont joué la carte de la confiance en soi… Mais c’est l’arrogance qui s’est jouée.

En espérant qu’ils en tirent une réflexion moins superficielle que ce qu’ils envoient pour le moment…

Laurent

dit :

J’ai débuté la lecture de cet article en me disant « tu t’es peut-être foutu d’eux intérieurement un peu trop vite », mais en fait non !
Je suis d’une nature plutôt calme, zen, toussa toussa, mais là, chapeau, car je n’aurais pas tenu le coup, je pense ! T’avais pris du Lexomil ou quoi ? Dans ce cas, je lève les voiles illico presto !

Globestoppeuse

dit :

Beh déjà ils sont arrivés 40 minutes en retard (ah, je ne l’ai pas écrit ?), on n’avait pas beaucoup de temps… alors avec ma soeur qui était à la gare… Il y avait un ami à eux qui venait les rejoindre et ma soeur et lui ont causé… Je suis patiente tu vois 🙂

annarita

dit :

Bien la glopestoppeuse (je t’embrasse au passage…) ils s’y croient les mecs, ils ont fait l’école de force de vente ou quoi? j’ai envie de leur claquer une! j’en avais jamais entendu parler, du coup j’ai pas envie de les connaître non plus! blablabla e techiques de vente ! tout ce que je déteste !

Globestoppeuse

dit :

Oh… désolée ! J’espère que l’article t’A diverti un peu au moins… Je n’ai pas osé pas le faire après avoir pris le temps de les rencontrer. Je ne les ai sans doute pas rendu très heureux.. mais au font.. ils sont sur la route là, ils s’éclatent… et ils grandissent (on l’espère), alors touchons du bois 😉

Anne @ CaminoNomada

dit :

Rien que le « t’es jolie etc. » donne une idée des loustics, mais enchaîner sur la critique de tes choix de vie/carrière avec une arrogance et une fermeture d’esprit crasses me persuade qu’il n’y a rien d’intéressant dans leur projet. Moi qui pensais qu’en apprendre plus sur eux me donnerait un autre regard sur leur Pékin Express, c’est raté. Quelle immersion, quel échange? Sans parler du manque visible d’information…
Au passage, encore un qui s’applique à donner une image de m*** au scoutisme, youpi.

Delphine

dit :

Mouais … je suis dubitative, mais honnêtement pas surprise … Aujourd’hui, il faut du sparkling qui crache du buzz … Ils ont réussi leur coup. Même si ça ne me fait pas envie pour un sous.

Quand aux journalistes, je ne sais pas quel est ton vécu avec eux Anne-Marie, mais il y aurai de quoi en dire et je pense particulièrement à l’orientation des articles.

Aline

dit :

Et bien, en commençant ton article je ne m’attendais pas à ça… Au moins un article qui permet de montrer les choses clairement. Comme tu dis : « le public désherbera de lui-même » 🙂
Je suis surprise de leur confiance en eux, j’espère que le voyage leur permettra de réaliser et d’apprendre 🙂

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