J’ai reçu plusieurs commentaires positifs sur cette série – les auto-stoppeuses fantastiques. Ce que j’aime le plus de cette série, c’est d’avoir la chance de rencontrer ces femmes qui font des voyages alternatifs et surtout d’apprécier la grande variété de personnes, de pratiques et d’attitudes. Qu’est-ce qu’elles ont de fantastiques ? Tout d’abord, ce sont des femmes. Ensuite, elles font du stop, elles lèvent le pouce dans des circonstances variées. Certaines sont plus plus audacieuses, d’autres sont plus glamour ou plus intellos.
Certaines sont-elles plus fantastiques que d’autres ? Vous me le direz – pour moi, être faire de l’auto-stop en tant que femme, c’est fantastique. Ce n’est pas quelque chose que l’on prend pour acquis. C’est quelque chose que l’on fait à contre-courant, en dépit des avertissements paternalistes, du risque réel d’une agression, de cultures qui ne tolèrent pas que les femmes prennent ce genre de libertés et surtout, ce genre de risque de leur propre gré, par choix.
J’ai connu Rebecca au moment de me lancer sur la route pour rattraper Taylor, un auto-stoppeur canadien que je considérais mon âme-frère. Taylor se trouvait alors en Syrie, moi en Écosse, et je n’avais jamais mis les pieds à l’est de Prague. Je ne savais pas situer Istanbul sur une carte et j’ignorais ce qu’était le Bosphore. Je ne savais même pas où se trouvait la mer Noire !
Fidèle à mes habitudes, j’ai cherché des informations de première main sur l’auto-stop en Turquie. Très rapidement, je suis tombée sur l’un des blogs de Rebecca et surtout sur son célèbre article sur l’auto-stop pour les femmes en Turquie. Après quelques recherches, j’ai réussi à trouver un moyen de la contacter. C’était en 2009.
Nous rapprochant dans la dernière année, nous espérions nous croiser lors de mon passage en Turquie pendant le Suntrip, mais ce fut peine perdue.
C’est à Paris que nous nous sommes croisées en novembre, et j’ai même eu l’honneur de l’héberger… chez mon hôte ! Ah, l’avantage d’avoir des maisons partout dans le monde…
Et vous savez le plus rigolo ? On s’est donné des nouvelles de tout le monde. Parce qu’après ces quatre ans, on a bien dû se rendre compte que l’on connaissait pas mal de gens en commun, ces acteurs de l’auto-stop sur le Web, ces nomades de la grande tribu des auto-stoppeurs. « Et tu connais x ? – Ah oui, il est rendu dans Telpays, non ? – Non, il a une nouvelle copine et ils sont partis vers Telautre… »
C’est vraiment un bonheur pour moi de vous présenter Rebecca !
Qui es-tu ? Présente-toi en quelques mots pour les lectrices de Globestoppeuse.
Je m’appelle Rebecca, je suis Allemande, mais je suis partie d’Allemagne à 18 ans et j’ai passé la plupart de mes années d’adulte dans d’autres pays. En ce moment, comme déjà par le passé plusieurs fois, j’habite à Paris. J’ai fait énormément de stop en Europe, puis mes premiers deux longs voyages de cinq et six mois ont été en Afrique de l’Ouest, le premier datant d’il y a dix ans, quand j’avais 20 ans. Dans les années qui ont suivi, j’ai privilégié des pays à prédominance islamique. Je voyage beaucoup dans des contrées éloignées de la Turquie et en Iran. J’ai également été en Irak, en Syrie, au Pakistan et dans d’autres pays dans le Moyen Orient et en Afrique du Nord.
Comment décrirais-tu ton style de voyage ?
J’aime revenir dans les mêmes coins du monde et y passer du temps pour mieux comprendre les cultures locales. Comme beaucoup de gens, j’ai toujours trouvé utile d’apprendre un peu la langue sur place en voyageant. Avec le temps, je me suis acharnée pour arriver à parler couramment certaines de ces langues. Puis, à l’université, j’approfondis mes connaissances des langues et civilisations des pays que j’aime le plus. J’ai auparavant suivi des cours de turc, que je maîtrise déjà bien comme langue, et cette année j’ai repris des cours de langue et civilisation perse. En trois visites en Iran, avec des cours par ci, par là, je considère être arrivée à un bon niveau en perse, qui est la huitième langue que je parle.
Tu es une auto-stoppeuse. Que penses-tu de l’auto-stop ? Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
L’auto-stop est certainement la meilleure façon de voyager pour moi. A vélo, en bus ou dans sa propre voiture on a simplement jamais autant d’échanges avec les gens qu’en stop.
D’abord en Europe, le voyage en stop m’a beaucoup appris. J’ai parlé avec des personnes avec qui je n’aurai jamais tenu de conversation, par exemple avec des gens qui exercent des métiers dont je ne connaissais même pas le nom. Par exemple, un malade chronique qui m’a raconté ses opérations, et son rapport à la douleur continuelle; des personnes aux points de vue totalement à l’opposé des miens, par exemple quelqu’un qui soutenait l’énergie nucléaire – là ça t’apprend à bien argumenter tout en gardant le respect dû à une personne en train de te rendre service; simplement, ces gens qui te racontent tout sur la vie dans leur village, on a l’occasion d’entendre des histoires que l’on n’aurait jamais eu sinon…
Apprendre les langues pour pouvoir comprendre les histoires des villageois en Turquie et en Iran a totalement bouleversé ma manière de voyager. Toutes ces rencontres ont beaucoup élargi mes horizons.
Sinon, en voyage dans des pays lointains, quand on ne parle pas la langue, il est toujours marrant de voir la quantité de personnes différentes qui peuvent te déposer le long de la route, ça donne au voyage une saveur que l’on n’aurait pas autrement. Quand on parle une langue insuffisamment, sans pouvoir tirer beaucoup d’une conversation, le stop donne au moins beaucoup de possibilités pour pratiquer.
Enfin, dans des contrées vraiment éloignées le stop donne la possibilité de se déplacer sans devoir attendre le seul minibus de la journée, ou bien de se déplacer dans des lieux pas du tout reliés aux moyens de transport public.
Être une femme, en voyage, pour toi, ça change quoi ?
Mis à part le harcèlement sexuel quand on voyage seule en stop (j’en ai marre qu’on dise qu’on « s’en fout »), dans beaucoup de cultures, les constantes critiques sur le fait d’être une femme qui voyage, notamment toute seule, ça peut rendre le voyage difficile. Même en Occident, on reçoit des conseils comme : « Voyager avec un homme, ne serait-ce pas mieux ? » Mais surtout, dans des pays culturellement plus conservateurs, si on parle bien la langue locale ça ne change pas forcement les choses pour le mieux, car on ignore plus difficilement des critiques et on a l’impression de constamment devoir se justifier sur le fait d’être seule. Pour moi qui passe pas mal de temps en voyage dans des villages, loin des sentiers battus et où d’autres voyageurs ne s’égarent quasiment jamais, il y a malheureusement parfois pas mal de méfiance envers une femme seule, du genre : « Si tu es seule, ça veut dire que tu as été répudiée par ta famille ? Sinon, qui laisserait partir sa fille ? Tu te prostitues ? » Il est normalement impossible de faire comprendre aux gens que ce sont de telles réactions et les incessantes questions qui avec le temps deviennent dures à endurer pendant un voyage, et qu’à part de ça on s’en sort plutôt bien.
Tu rédiges quelques blogs en Anglais, Kurdistan Diary et You are All Tourists. Est-ce que tu peux nous dire quelques mots à leur sujet ?
Le Kurdistan Diary est un blog sur le Moyen Orient, où j’écris des textes sérieux, parfois un peu ethnologiques, parfois plus ou moins à teneur politique. Certains billets sont assez analytiques, d’autres sont plutôt narratifs mais avec des contenus socio-critiques.
Puis l’autre c’est un blog de voyage où je raconte des histoires d’un peu partout dans le monde où j’ai voyagé seule ou avec d’autres personnes. Récemment j’y ai mis deux articles sur le féminisme et le voyage. [NDLR: Why Women are Different (Solo Travel and Feminism) & Why women are different, II (Representation and Socialisation)]
Un conseil pour les femmes voyageuses ?
Faites-le, voyagez.
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