Celle qui semble frêle au premier abord dégage néanmoins une force incommensurable. Il suffisait de la voir porter son immense sac, trop lourd à mon sens et à présent délesté, heureusement. J’ai rencontré Anouk près de Toulouse il y a un an, au festival Hit the Road de Stop & Go mais nos chemins s’étaient déjà croisés virtuellement à travers ses recherches plus académiques sur l’auto-stop.
Celle qui aime le stop aime aussi les gens, pour preuve la haute voltige qu’elle exécute en France depuis plus de six mois sans filet, en compagnie de Pierre-Élie. Un voyage à l’essence même de l’aventure locale, à la découverte d’un pays et d’un seul, le temps d’une longue balade….
Qui es-tu ? Présente-toi en quelques mots pour les lectrices de Globestoppeuse.
Je m’appelle Anouk, je suis originaire de Tours et j’ai 21 ans même si certains conducteurs me demandent : « Tu ne devrais pas être à l’école aujourd’hui ? » Après mon bac, j’ai fait un IUT en Carrières Sociales, option Gestion Urbaine à Bordeaux. J’y pratiquais l’auto-stop comme je pouvais : souvent d’une ville à une autre en passant par les grands axes, ou avec l’association Stop&Go, c’était toujours une super aventure mais cela me donnait tellement envie d’approfondir ce type de voyage ! Avec Pierre-Elie, mon copain, nous avons donc imaginé un voyage de plusieurs mois en France, en stop et sans argent. En vue de ce projet et à l’occasion d’un mémoire de fin d’études, j’ai pu travailler sur la pratique du stop en France !
Comment décrirais-tu ton style de voyage ?
Pour moi, le voyage est avant tout une aventure humaine et pour cela j’adopte un style plutôt minimaliste : les péripéties passent beaucoup par les rencontres, notre instinct et le hasard qui nous amènent des découvertes et des belles surprises. Ce qui crée vraiment le voyage, c’est l’aventure que s’autorisent tous ceux et celles qui me prennent en stop, ouvrent leur porte ou encore m’invitent chez eux. Prendre le temps de voyager permet de le consacrer à rencontrer les gens, à les écouter et les comprendre, à partager avec eux leur quotidien. Nous vivons l’ordinaire de personnes très différentes et cela rend notre voyage extra-ordinaire.
Tu es une auto-stoppeuse. Que penses-tu de l’auto-stop ? Qu’est-ce que cela représente pour toi ?
L’auto-stop est une discipline fabuleuse car elle permet de rencontrer une grande diversité de personnes en posant sur elles un regard très tolérant. Nous sommes forcément reconnaissants envers le ou la conducteur/trice qui s’arrête et nous sommes donc, de ce fait, plus facilement ouvert à écouter et comprendre la personne qu’elle est. Cela participe à la magie du stop : les barrières tombent, la rencontre est si fortuite que personne n’a pas le temps de porter son masque d’apparences. Et puis, nous savons que nous ne nous reverrons pas alors tous nos secrets sont permis et les discussions vont à l’essentiel : nous parlons de ce qui est vraiment profondément important en nous. Pour moi, le stop transforme le « trajet » en Voyage et peu importe la destination car le voyage, « c’est aller de soi à soi en passant par les autres », c’est aussi une très bonne définition de l’auto-stop.
Le principe même du stop est d’être dépendant des autres, pourtant, il représente pour moi une liberté absolue assez rare. Dans les voitures, nous sommes libres d’être qui nous sommes, d’aller où nous voulons sans être tracés, de changer de direction à chaque voiture, de prendre le temps. Le stop étant une science plutôt inexacte, il nous empêche de projeter un quelconque horaire d’arrivée ou même d’imaginer comment va se passer l’enchaînement des automobilistes. On peut lâcher prise et vivre uniquement le moment présent, c’est l’aventure !
Être une femme, en voyage, pour toi, ça change quoi ?
Etre une femme en voyage ça ne change pas beaucoup de chose pour moi : nous sommes des personnes qui découvrent, rencontrent, sortent de leur zone de confort, s’adaptent, s’émerveillent. Sauf peut-être quand j’ai mes règles car j’ai moins d’énergie, j’arrive moins à me concentrer et à faire face aux événements qui surviennent, mais cela peut s’anticiper et puis, lorsqu’on est en binôme l’autre peut aussi prendre le relais.
En revanche, je ressens que le fait d’être une femme change beaucoup de choses pour les autres. Dans leurs regards, je suis une inconnue plutôt inoffensive, voire même en danger, et ils ont envie de me « sauver ». Les fois où j’ai fait du stop seule, j’ai très peu attendu : si la 4ème voiture qui passe ne s’arrête pas, je commence à m’étonner de ne pas être prise ! Je me branche sur mon instinct pour vraiment sentir la personne qui s’arrête et je m’autorise à refuser celles que je ne sens pas – ça ne m’est arrivé qu’une seule fois.
Lorsque je voyage seule, j’ai l’impression que les gens me demandent davantage de me justifier. Ils se permettent aussi plus de me mettre en garde contre « LE psychopathe qui rôde ». Pourtant, puisque ces mêmes personnes ont peur à ma place, j’ai encore moins de risque de rencontrer une personne malveillante. Je ne dis pas qu’elle n’existe pas, mais je sais surtout que je me fais bien plus harceler dans la rue qu’en stop, il suffit de réapprendre à écouter son instinct ! J’aime à répéter qu’en restant sur son canapé, on prend aussi le risque que le plafond s’écroule… ! Et même si je vais largement plus vite seule, j’attends avec Pierre-Elie car nous rigolons bien à deux !
Nous voyageons donc essentiellement en binôme mixte et c’est intéressant de remarquer que, du point de vue de ceux et celles qui nous prennent, je représente, en tant que femme, la caution « sécurité » pour eux, et Pierre-Elie représente la caution « sécurité » pour le binôme ! Alors que dans les faits, si nous avions un problème un jour, il est plus probable que je sois celle qui réagisse le plus vite et le plus efficacement au vu de mes expériences de harcèlement de rue.
Ce binôme mixte nous permet d’accéder à un plus large éventail de personnes, car certaines femmes seules ou avec des enfants nous répètent souvent : « S’il n’y avait pas eu Anouk, je ne me serais sûrement pas arrêtée », en nous évitant trop de discours moralisants même si certains nous assurent que « c’est bien d’être avec un garçon, c’est moins dangereux. » Il est difficile de sortir des légendes urbaines, d’un schéma sexiste et simpliste et d’un discours de peur de l’Autre que véhicule les médias mais, le plus difficile lorsque l’on est une femme, je trouve que c’est de se défaire des réactions de peur, des interdictions et des projections angoissantes de notre entourage sur nous.
Avec ton partenaire Pierre-Élie, tu es en train de réaliser un voyage en stop que tu partages sous le nom Voyagez-nous. Est-ce que tu peux nous dire quelques mots à son sujet ?
Voyagez-nous c’est une aventure de plusieurs mois, en France, en stop, sans argent et sans itinéraire ! Nous avons trois objectifs : découvrir le pays, rencontrer ses habitant-e-s et partager ce que nous vivons. Nous avons choisi de voyager sans utiliser d’argent pour expérimenter d’autres moyens d’échange et comprendre ce que cela crée entre nous et les personnes. Cette dépendance vis-à-vis des gens nous pousse à sortir de notre zone de confort et à aller rencontrer des personnes que nous n’aurions jamais pu rencontrer autrement en les abordant dans la rue ou en frappant à leur porte. Cette expérience s’est avérée créer des échanges très profonds et un mode de voyage minimaliste et très humain qui nous correspond. Le fait d’avoir beaucoup de temps nous permet d’échanger des services contre la nourriture ou l’hébergement. Lorsque nous formalisions l’échange, nos hôtes refusaient souvent notre aide, alors nous le rendons plus naturel et ça marche : déplacer un meuble, changer un phare de voiture, faire un dessin, ramasser les feuilles mortes, garder les enfants ou tout simplement écouter nos hôtes et partager le voyage, tout est prétexte à un échange enrichissant pour tout le monde !
Notre choix de voyager en France surprend souvent : « Avec autant de temps, pourquoi ne pas aller à l’autre bout du monde ? ». Justement parce que nous considérons que le voyage ne commence pas forcément à la sortie d’un aéroport ! Nous nous rendons compte que ce nous connaissons de notre pays est assez limité et il regorge d’endroits magnifiques et de personnalités variées.
Le voyage est souvent perçu comme une ligne rouge tracée entre deux points où tout le séjour est tendu vers l’arrivée. Choisir une surface comme terrain de jeu pour un long voyage nécessite de repenser cette idée. Chaque jour est une arrivée en soi et nous profitons alors, le temps qu’il faut, des rencontres que nous vivons.
Il est aussi très important pour nous de partager tout ce que nous vivons. En général, la rumeur ne retient souvent que l’histoire qui s’est mal passée en stop… alors nous cherchons à faire connaître les centaines qui se passent bien et qui nous font avancer personnellement. Notre voyage est rempli de témoignages de générosité et d’illustrations de côtés positifs de l’humain, c’est important de le valoriser face à l’inondation de mauvaises nouvelles angoissantes relayées par les médias. Nous avons souvent des réactions très agréablement surprises de nos conducteur/trices : « Vous avez été hébergés tous les soirs chez des inconnus pendant 5 mois ? Je ne savais pas qu’il restait des gens généreux en France ! »
Nous partageons bien sûr nos histoires avec les gens que nous rencontrons grâce à un carnet de voyage papier où nous dessinons, collons, écrivons des bribes authentiques du voyage. Grâce aux réseaux sociaux et à notre blog, ceux et celles qui n’ont pas la chance de pouvoir l’expérimenter par eux-mêmes voyagent à travers nos articles et photos. Enfin, grâce à un partenariat avec l’association L’enfant@l’hôpital, des enfants en situation d’exclusion scolaire suivent notre périple depuis le départ et nous posent des questions chaque semaine. Cela leur permet d’avoir une base ludique et motivante pour apprendre plus facilement et les enfants nous offrent un regard différent sur ce que nous vivons !
Un conseil pour les femmes voyageuses ?
Suivons nos intuitions : si une envie de partir nous prend, saisissons-la, si une personne ne nous inspire pas confiance, rien ne nous oblige à la suivre. Agissons avec notre cœur plutôt qu’avec notre tête qui a trop appris à nous inonder de peurs non fondées. Je trouve important de savoir que certains nous considèrent, en tant que femme, comme des personnes fragiles, naïves et inconscientes. Par notre attitude et par la place que nous occupons, nous pouvons prévenir certaines propositions abusives. Et au contraire, le fait de paraître plutôt « inoffensives » nous ouvre la porte d’une plus grande diversité de personnes prêtes à s’ouvrir à nous, ne passons pas à côté !
Suivez Anouk et Pierre-Élie sur Facebook, sur leur blog Voyagez-nous, la France en auto-stop et sur Youtube
Écoutez-les en deux parties sur Podcastination
Vous trouverez ici la monographie de territoire d’Anouk sur l’auto-stop
3 Commentaires for “Autostoppeuses fantastiques – Anouk – Voyagez-nous”
Luc
dit :Merci.
Plein de bonheur, d’amour, de compassion et de gratitude à tous <3
Jan
dit :Salut les jeunes,
Merci pour cette riche heure et demi entre Le Mans et Rennes cet après midi!
A bientôt
Sylvain
travelnroll
dit :Elle est bien fantastique!