En 2007, j’ai quitté le Québec pour un voyage d’un mois en France, chez une amie – elle m’offrait le billet d’avion car ma vie était mal en point. Ayant négocié deux mois de baroude contre un mois de banlieue parisienne, j’avais finalement craqué et booké un billet aller-retour sur six mois, PVT Royaume-Uni en poche.
Au moment de partir, j’avais 3000 € en banque.
Mais bon voilà, j’ai zappé le retour.
Je suis rentrée au Canada en 2010, plus de trois ans plus tard. Rien n’était prévu – pas de tour du monde, pas de projet spécifique, juste me remettre les idées en place et trouver ma voie.
Pour survivre, il fallait d’abord économiser
En m’imposant une certaine décroissance budgétaire, j’ai dû développer des aptitudes parallèles. J’ai rapidement fait certains apprentissages :
- apprécier ce que j’ai
- accepter les cadeaux
- ravaler mon orgueil à coups d’humilité
- avoir de la compassion pour les gens qui ont besoin de l’argent pour exprimer ou réaliser leurs rêves
- faire face aux épreuves que sont la faim, la douleur physique, l’épuisement
- être débrouillarde
- être interdépendante
- réseauter (à fond !)
- connaître et exploiter mes ressources
- créer de la valeur à partir des restes et des déchets – et en parler sans honte
- m’éduquer et essayer de nouvelles choses
- inspirer mon entourage
Dans la vie, de quoi a-t-on réellement besoin ? D’argent ? L’argent est bien sûr un outil pratique et puissant, mais ce n’est que l’une des ressources sur lesquelles l’on peut compter. Il y a beaucoup d’autres ressources qui nous sont disponibles :
la gentillesse – la bonne volonté – les espaces et événements gratuits – les choses gaspillées – l’échange – le partage – les opportunités – la nature – les structures existantes…
Ce qui me permet de vivre sans devoir gagner ma vie
Le travail
Travailler c’est trop dur… surtout lorsque c’est salarié ! Même lorsqu’il est bénévole ou rétribué en échange direct (pièces d’ordinateur, hébergement temporaire, billets de train…), le travail satisfait bien des besoins, ne serait-ce que celui d’être un membre actif de ma communauté, d’apprendre, de créer, de me sentir utile. J’ai souvent exécuté des tâches pour des membres de mon réseau, un genre d’investissement dans mon karma… Parfois c’est moi qui donne, parfois c’est moi qui reçois. Pour moi, l’auto-stop est un boulot, une profession. Quand un conducteur me prend, je représente pour lui tous les auto-stoppeuses, et je lui propose un service. Je suis attentive à ses besoins, je m’adapte à sa réalité propre. Qu’il soit dans sa quête spirituelle de rockeur chrétien ou ce meurtrier en liberté conditionnelle qui essaye de coucher avec moi, qu’elle soit une mère de cinq enfants ou une expatriée qui renvoie tout son salaire au bled, qu’il s’agisse de trafiquants de voiture arméniens ou de la travailleuse du sexe suisse. J’apporte avec moi dans le monde mon lieu de travail, ma zone d’élargissement des perspectives. Car c’est ce que je fais, non ? J’enseigne l’interculturel, l’écoute, la tolérance. Ça crée de la valeur, ça, non ?
La décroissance
Il n’est pas nécessaire de réduire vos activités sociales par frugalité – il suffit de les repenser. Les jeux de société, les bolas, jouer d’un instrument de musique, jouer aux cartes… Pourquoi sortir prendre un café ? Invitez vos amis à partager une tasse de thé, souvent bien moins chère, buvez-la à la maison, ou dégustez-la dans un espace-café alternatif où l’on ne vous force pas à consommer. Profiter d’activités gratuites, non commerciales. Évitez les restaurants, préférez les repas collectifs, le partage. Délaissez la télévision et les diktats de la mode, utilisez votre téléphone avec parcimonie, libérez-vous de vos dépendances coûteuses, mangez local et de saison, évitez les produits de luxe. Acceptez que les situations soient imparfaites… Certains de mes amis et collègues nomades n’utilisent plus l’argent. Pour moi, ce n’est pas une option, car je veux pouvoir prendre les transports publics et je refuse de les frauder. Les transports dans les villes représentent environ 70 % de mon budget voyage. Et puis l’on peut marcher, partout. Et pourquoi pas des trucs encore plus radicaux, comme délaisser le papier toilettes ? Après tout, c’est ce que fait la moitié de la planète…
Le pouvoir du don
Quelles sont les ressources non monétaires ? Il y a bien sûr le capital social, et je vois très bien mes amis plus anar et gauchistes faire la grimace, mais c’est ma façon à moi de jauger de ma contribution. Mais quand l’on vit sur un budget très restreint au cœur d’une société de consommation, il faut révolutionner sa conception du monde et comprendre que l’on mérite d’être en relation avec les autres, on mérite de recevoir de l’aide. C’est ainsi que je pense ma vie : je suis une viveuse professionnelle, et je fais les choses le plus soigneusement possible. j’essaye de les aider lorsqu’ils me sollicitent, même si c’est indirectement, en les référant à des ressources appropriées. C’est ainsi que j’entretiens mon capital social, mon réseau. En fonction de mes ressources (en temps, en matériel, en expertises), j’accepte autant que possible d’aider ceux qui me sollicitent. J’ai très peu d’argent, alors on m’en demande rarement, mais ça n’est pas toujours le cas. Tout mon capital gagné en PVT en Écosse fut prêté à un ami de mon frère en Allemagne, plusieurs milliers d’euros qu’il m’a rendus au compte-gouttes au fil de mes besoins dans les trois années qui ont suivi. Mais l’aide que j’offre est souvent intangible et non chiffrable : prendre le temps d’aller les rencontrer quand ils me le demandent, me déplacer alors qu’ils n’ont pas le temps de voyager, être bénévole, organiser des conférences et des ateliers, collaborer en ligne, trimbaler des vœux et des cadeaux, faire le lien entre de gens qui créeront ensemble, écouter, soutenir, prodiguer des conseils, etc. Cette attitude me légitimise dans une économie basée sur le don – de soi, de ce que l’on possède, de ce que l’on trouve. En tant que membre de la société, nous avons la légitimité de demander et de recevoir de l’aide, nous avons la légitimité d’y apporter notre contribution, notre valeur ajoutée, notre karma, et de payer au suivant.
Apprenez à recevoir correctement, avec humilité et gratitude. C’est un talent qui se développe et qui vous mènera à mieux redonner.
La beauté du partage
Le partage, quelle ressource ! En organisant un repas communautaire de type potluck, on peut partager à la fois les frais et le temps de cuisine. Et pourquoi pas une séance de cuisine collective ? Avec un peu de créativité, on y fait de belles trouvailles et on passe un moment convivial, tous ensemble. Tout ce que l’on me donne ou que je trouve est un prétexte au partage – les 20 € que ce conducteur m’a filés en stop deviennent un repas partagé et un jeu de société pour le groupe d’amis rejoint en soirée. Les 20 sacs de chips de légumes bio à 5 € l’unité ont été redistribués dans sept foyers différents. Le litre de sirop d’érable reçu en attendant un lift aura réchauffé le cœur d’une vingtaine de personnes…
Pour moi, tout a meilleur goût lorsque partagé.
Ma vie a bien meilleur goût, d’ailleurs, et les gens partagent avec moi leur électricité, leurs toilettes, leur eau, leurs espaces pour dormir, leurs livres, leur réfrigérateur, leur affection, leurs opinions, leurs espoirs et leurs préoccupations.
La récupération
J’ai parlé du gaspillage, c’est tout ce qui n’est pas optimisé : ce qui es encore utile ou consommable dans les poubelles, l’espace dans les voitures, les objets trouvés, les objets donnés, livres, meubles, vêtements, gadgets… Au niveau alimentaire, nous vivons dans des pays de gaspillage phénoménal. Pour vous informer des techniques de récupération de la nourriture, allez voir du côté de Freegan.fr ou Trashwiki.org (en Anglais), ces sites regorgent d’informations utiles. Vous trouverez des récupérateurs d’expérience dans les soupes populaires (comme les Volksküche allemands), où parfois une partie de la nourriture servie est récupérée. J’achète parfois des aliments de base qui sont abordables et nutritifs : les lentilles, des haricots rouges, des pois chiches, des graines de sésame ou de tournesol, toutes les sortes de légumineuses, de la semoule, du boulghour… J’achète aussi l’ail, les épices et l’huile d’olive… et pour le reste, je trouve et j’échange beaucoup. Mes hôtes ont souvent des restes, des trucs à donner, et je les mets à ma sauce pour mieux les repartager.
Un modèle qui a ses forces et ses limites
Ce que je présente n’est pas un modèle idéal., mais il est possible et je le crois utile dans le contexte actuel où tout est gaspillé, jeté, négligé. Dans un monde parfait qui ne fonctionnerait que sur l’argent, ce serait sans doute un abus de vivre ainsi… Mais dans un monde comme tel, des activités qui actuellement ne me paient pas deviendraient des gagne-pains, car elles bénéficient à la société. Je transforme ce qui est gaspillé en quelque chose de valeur – la nourriture, l’espace dans les transports, les canapés vides la nuit… Mon mode de vie n’est rentable que parce que les sociétés où je m’intègre sont diversifiées et gaspillent. Je me dois toujours d’adapter mon mode de vie au conditions de l’endroit. Je m’imagine mal vivre ainsi dans des pays plus économes, plus pauvres, plus débrouillards… Dans un monde parfait sans argent, la relation aux déchets serait sans doute différente, et j’aurais à me réadapter. Après tout, si tout le monde vivait comme moi, qui produirait des biens et services ? L’optimisation n’est possible que parce qu’il y a gaspillage…
- Astrid (Histoires de Tongs) partage ses astuces pratiques pour Voyager sans argent. Son mode de voyage est très près du mien, alors je recommande chaudement son blog !
- Ils te donneront 1000 raisons de ne pas partir alors tu leurs diras… avec Piotr chez Bien Voyager
- Adrien et Julien ont beaucoup réfléchi sur le sujet également
Ayez plein de ressources Soyez interdépendants
Allez au fond de vos expériences
D’autres objections avant de se lancer ?
21 Commentaires for “Voyager et vivre avec 3 € par jour : Simplifier sa vie et aller à l’essentiel”
Sebaroudeur
dit :Toute une philosophie de vie. J’imagine qu’il t’a fallu pas mal de temps avant d’en arriver, cela ne s’est pas fait du jour au lendemain … Bonne continuation !
Globestoppeuse
dit :À l’époque où j’ai rédigé le brouillon de cet article en anglais, je travaillais sur la BDGV depuis un mois environ, et j’étais nomade depuis une dizaine d’années déjà. J’ai commencé mon questionnement sur la légitimité en 2009, à la fin de mon PVT au Royaume-Uni. Je n’ai jamais eu un train de vie très luxueux, mais c’est l’époque à laquelle j’ai fait le choix conscient de simplifier et de vivre ainsi, notamment en intégrant le dumpster diving dans ma vie.
Joana@venividivoyage
dit :Super intéressant ton billet ! Je pense en effet comme mentionné plus haut dans les commentaires que c’est un mode de vie qui se construit petit à petit, ça ne vient pas tout d’un coup. Et puis, c’est vraiment un engagement, une décision qui impact tous les aspects de ton mode de vie. Pas sûr que j’en sois capable, mais tu es une source d’inspiration, ça c’est sûr et je suis ravie de pouvoir puiser dans quelques unes de tes idées pour avoir moi même un mode de vie plus sain, ou plus équitable.
Bref, merci pour l’inspiration !!
Globestoppeuse
dit :Merci Joana ! J’imagine que l’on doit composer son propre style à partir de nos capacités, nos aptitudes et nos limitations. Je suis cyclothymique (bipolaire) alors ça joue sur mes choix aussi. Je pense que l’important est de se poser ces questions, pour ne pas rester bloqués sur des excuses bidon pour ne pas changer de mode de vie, et aussi pour ne pas juger ceux qui font des choix différents.
Julie
dit :Heureusement que tout le monde ne fait pas comme toi… Mais heureusement que tout le monde ne fait pas comme moi (salariée expatriée), comme ceux qui sont riches, comme ceux qui sont des dingues du travail, comme ceux qui ne foutent rien… « Il faut de tout pour faire un monde » n’est pas qu’une expression.
Autant j’admire ton mode de vie, autant je serai incapable de ne pas avoir de boulot pendant une trop longue période de temps. Mais je comprends aussi que le travail salarié (l’emploi) n’est pas fait pour tout le monde (ou l’inverse).
Et surtout, quelque soit le choix qu’on fait, il n’est pas définitif.
Je lis ton blog avec plaisir. Merci et bonne continuation.
Globestoppeuse
dit :Un heureux mélange d’entrepreneuriat, de workaholics, de salariés… On trouvera bien l’équilibre là-dedans ! Mon ex n’avait aucune fibre entrepreneuriale. Sans boulot, il était incapable de meubler ses journées. Moi, je manque de temps pour avoir un boulot ! Même mon rien-faire me rend débordée 🙂
Merci pour ton passage Julie, au plasir d’échanger !
Amélie MACOIN
dit :« Je manque de temps pour avoir un boulot! » J’adore..! ;o) Le mien que j’aime beaucoup ne me prend généralement la moitié de la semaine, j’arrive à voyager environ 2 mois cumulés par an, mais ce n’est pas assez…
Cyril howimettheworld
dit :Super intéressant ton billet.
Je pense aussi qu’il y a des choses ou actions qui n’ont pas de valeur monétaire aux yeux de la société (ce qui est bien dommage) mais tellement de valeur aux yeux des hommes.
Une main tendue sur la route quand on est dans le besoin, ca vaut tout l’or du monde et quand on sait l’apprécier et le redonner par la suite, ca revient toujours à nous d’une façon ou d’une autre. C’est la beauté de la vie je crois.
Ce que je trouve compliqué dans cette société moderne, c’est que tout te pousse à gaspiller, consommer, suivre les modes et quand tu veux vivre sur un autre modèle cela demande de l’énergie…c’est comme nager à contre-courant mais je crois que ca peut en valoir la peine.
Bonne continuation
Globestoppeuse
dit :Merci pour ton passage ici Cyril ! ton commentaire sur la valeur non monétaire des trucs m’a fait pensé à toutes ces blagues sur les mères, le métier le plus dur et le plus mal payé du monde… Bon, comme pour le voyageur vagabond, ça a ses avantages aussi ! Notre vie ne devient pas un enfer quand on devient mère ni quand on se met à vivre è 3€ par jour ! Mais y’a d’énormes compromis à faire !
Margot
dit :J’admire ton mode de vie et je dois avouer que je commence à m’en rapprocher sur certains points. Je te rejoins sur la valeur des choses. On attache trop importance aux possessions matériels, on perd le contact humain. Un repas partagé suivi d’un jeu de carte et mieux qu’un resto avec des fans de facebook sur leur Iphone.
Le dumpster diving nous ouvre les yeux sur cet immense gaspillage (sans compter l’épuisement de la terre et la surconsommation d’eau pour une surproduction agricole inutile et le nombre d’animaux tués pour finir à la poubelle). Et le couchsurfing est sans conteste plus agréable que les hôtels. Les rencontres sont enrichissant et laissent de meilleurs souvenirs.
Toujours un plaisir de te lire!
Globestoppeuse
dit :Merci Margot ! Je plussoie tout ce que tu dis 🙂
Quand on commence le dumspter diving, c’est difficile de d’arrêter en pensant à ce gaspillage monstre ! C’est la seule technique du voyage alternatif qui renverse carrément la vapeur face au système, pas seulement éviter de polluer plus… Et pour ce qui est des animaux, quel massacre… Encore que je conçoive de tuer pour manger la viande, mais pas la jeter au poubelles… C’est nier toute sacralité à la vie !
Marie
dit :Beaucoup de courage dans votre mode de vie. Félicitation et merci du partage.
EnvieVoyages
dit :Waouw quel mode de vie mais surtout quelle motivation d’avoir réussi à tellement le développer! Je suis impressionnée…
Personnellement, il ne me conviendrait pas là maintenant, mais qui sait si dans quelques années, je n’y songerai pas.
Globestoppeuse
dit :Et pourtant, je suis sure que ton mode de vie plus voyageur indique déjà une transition vers certains aspects de ce dont je parle. Si tu as connu l’Hospitalité, si tu as donné de bon coeur à un voyageur ou à quelqu’un que tu as rencontré en voyage… En jargon nomadologique, on dirait : passer de la société du spectacle à la société du festival – devenir partie prenante du paysage et pas simplement son consommateur. 😉
Votre Tour du Monde
dit :Bonjour,
C’est une belle leçon de vie que tu donnes là en partageant ton expérience et ta vision des choses. Je trouve admirable que tu sois arrivée aussi loin dans ton engagement et ta façon de vivre. On aurait envie de faire comme toi et puis finalement on choisi la facilité.
louise cherpion
dit :Bonjour,
As-tu une version anglaise de cet article?
Merci 🙂
Globestoppeuse
dit :Pas celui-là, non. Mais comme c’est du Creative Commons, je suis ouverte à la traduction pourvu que je suis citée ! 🙂
Voyager sans argent : comment survivre dans la jungle urbaine? - Histoires de tongs
dit :[…] du livre) a également écrit un article intéressant sur le sujet, sur son blog Globestoppeuse : voyager et vivre avec 3€ par jour, simplifier sa vie et aller à l’essentiel. Elle pousse la réflexion sur le voyage sans […]
barouding
dit :Bonjour,
Waouh, j’admire votre effort. Vous êtes vraiment courageuse!
Globestoppeuse
dit :Je n’ai pas vraiment le sentiment de faire preuve de courage, juste de penser un peu différemment ?
Nowengo
dit :Cet article est passionnant ! J’ai adoré le lire, les astuces que vous donnez sont super intéressantes 🙂