En tant que touriste alternatif averti (voyageur, si vous préférez), nous avons de grandes responsabilités, entre autres briser les cycles du colonialisme. Mais ça n’est pas facile – il faut reconnaître que l’on s’insère dans un système qui nous dit ce qui est bien ou mal depuis que l’on est gamin, qui établit certains « mythes » sur notre société et sur les sociétés étrangères.
J’ai traduit l’article suivant car je le trouvais pertinent à la réflexion qui doit accompagner tout voyage au long cours. Loin de moi l’idée que tous ces privilèges s’adressent à mes lecteurs, ni même à moi. Cependant, c’est une amorce de discussion et une bonne dose d’humilité.
Initialement publié sur Everyday Feminism le 10 septembre 2014 par Sian Ferguson, traduit et republié ici avec leur permission.
Dans l’activisme pour la justice sociale et dans les cercles féministes, la discussion ne traite pas suffisamment du privilège occidental.
Et ça devient un problème énorme dans l’activisme pour la justice sociale.
Vivre à l’ère numérique a cela de bien que l’activisme est rendu plus accessible, car il peut se vivre en ligne. L’Internet permet aux gens partout dans le monde d’échanger des idées, d’apprendre les uns des autres et de faire preuve de solidarité avec autrui.
Mais l’efficacité de cet activisme est limitée si nous ne reconnaissons pas la façon dont nous avons des privilèges sur les autres, ainsi que la façon dont l’accès à Internet est limité.
Je vois souvent des discussions où le privilège occidental est rejeté ou raillé.
Sans surprise, ceux qui rejettent ces discussions vivent généralement dans les pays occidentaux. Étonnamment, et peut-être malheureusement, beaucoup de gens qui rejettent la notion de privilège occidental ou qui en demandent la « preuve » sont des militants pour la justice sociale – ces mêmes personnes qui disent que l’on ne doit pas exiger des peuples opprimés qu’ils prouvent leur oppression.
Parfois, les gens affirment que le privilège occidental n’existe pas parce que les occidentaux vivent toujours de l’oppression.
Voilà où le bat blesse : vivre une forme d’oppression n’efface pas les privilèges dont vous disposez.
Certes, cela pourrait changer la façon dont vous ressentez ces privilèges, mais cela ne signifie pas que ces privilèges n’existent pas.
Par exemple, le privilège masculin existe, mais cela ne signifie certainement pas que tous les hommes vivent le privilège de la même manière. Cela dépendra de leur classe, de leur race, de leur orientation sexuelle, d’un handicap et ainsi de suite.
Les hommes vivent un privilège dû à leur sexe, mais cela ne signifie certainement pas que les hommes ne peuvent pas vivre d’oppression fondée sur d’autres aspects de leur identité.
De même, la reconnaissance d’un privilège occidental ne doit pas signifier que personne en Occident ne connaisse d’oppression.
Cela ne signifie pas non plus que toutes les personnes dans les pays non-occidentaux subissent l’oppression de la même manière.
Par exemple, je vis en Afrique du Sud, et je suis blanche. Ce seul fait signifie que je suis bien plus privilégiée que la plupart des gens de mon pays, et le privilège occidental ne me touche pas de la même manière.
Nous devrions nous interroger sur les manières dont divers oppressions et privilèges interagissent avec le privilège occidental plutôt que de nier entièrement son existence.
Au fil des conversations avec des universitaires et des militants (principalement africains), j’ai compilé une liste d’exemples de privilège occidental. En raison de ma propre situation géographique, cette liste est biaisée d’une perspective africaine. S’il-vous-plaît, n’hésitez pas à ajouter d’autres exemples dans les commentaires – surtout si vous sentez que votre continent, région ou pays est sous-représenté ici !
- Les étrangers ne viennent pas dans votre ville, village ou pays pour tenter de vous «sauver».
- Le gens ne vont pas dans votre pays pour faire du volontourisme (tourisme humanitaire), une pratique bien intentionnée mais souvent déshumanisante et nuisible.
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Les articles – même sur le sujet du néo-colonialisme – sont plus susceptibles d’être diffusés si ils sont écrits par quelqu’un basé dans un pays occidental et publiés sur une plateforme basée dans un pays occidental.
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Vous pouvez supposer que tout le monde connaît vos traditions nationales et vos normes culturelles.
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Si vous ne connaissez pas les traditions nationales des autres, vous ne serez pas traité d’ignorant.
6. Votre pays est mieux représenté dans les médias. Ceci inclut les médias écrits, la télévision et les films.
- Quand votre pays est représenté dans les médias, il l’est de façon informée, nuancée. c’est-à-dire que personne ne réduit votre pays à des clichés hollywoodiens. La vision de votre pays n’est pas réduite à une seule histoire.
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Les films sur votre pays emploient habituellement des acteurs de votre pays, plutôt que des personnes d’autres pays qui n’ont souvent pas l’air ni l’accent des gens qu’ils sont censés représenter.
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Les couvertures des romans portant sur votre continent, pays ou région géographique ne sont pas traitées de la même façon.
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Votre pays n’est pas considéré comme «exotique» ou fétichisé par le reste du monde.
11. Votre pays n’est pas considéré comme «en retard» par le reste du monde.
- Les gens ne perçoivent pas la totalité de votre continent comme si c’était un pays monolithique.
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La majorité de votre population est susceptible d’avoir un accès stable et relativement peu coûteux à l’Internet…
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…ce qui signifie que votre pays est mieux représenté sur les médias sociaux et dans l’activisme numérique.
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Les plateformes médiatiques « mondiales » sont plus susceptibles de reconnaître vos traditions et rituels nationaux, alors que ceux des autres pays sont ignorés.
16. Les plates-formes médiatiques « mondiales » vont publier vos tragédies nationales et ignorer ou marginaliser les tragédies qui se produisent dans d’autres pays.
- Quand une tragédie nationale se produit dans votre pays, vous pouvez vous attendre à ce que des gens de partout dans le monde soient solidaire avec votre peuple.
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Il est peu probable que la tragédie et de l’oppression dans votre pays soient utilisés comme une tactique pour décrédibiliser des problèmes et tragédies se produisant à l’étranger. (ndlt : Penses aux pauvres Africains qui ont bien plus de problèmes… ou encore le hashtag #firstworldproblem)
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À l’inverse, les débats sur les tragédies qui se produisent dans votre pays sont peu susceptibles d’être détournés pour attirer l’attention sur les problèmes d’un autre pays.
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Il est relativement facile d’obtenir des statistiques et des études sur certaines choses dans votre pays. Cela peut sembler trivial, mais il suffit de réaliser à quel point il est utile de disposer de statistiques fiables sur, par exemple, le marché de l’emploi, la criminalité, l’inégalité des revenus et l’accessibilité à l’éducation.
21. Vous n’avez pas à apprendre beaucoup de choses sur d’autres pays. Les étrangers, cependant, doivent apprendre beaucoup de choses au sujet de votre pays pour survivre.
- Si vous déménagez dans un autre pays après l’obtention d’un diplôme d’enseignement, vous n’avez pas à commencer votre formation à partir de zéro, comme votre diplôme occidental sera considéré comme suffisant.
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Les gens évaluent souvent votre expérience scolaire et professionnelle à la hausse.
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Votre culture n’est confondue avec tout votre continent. Je vois souvent des gens qui citent des proverbes « africains ». Ces proverbes proviennent de personnes, de cultures, de régions et de tribus, non pas de continents entiers. De même, les gens discutent de la musique, les vêtements et la culture… « africaine tribale ».
25. Ironiquement, la plupart des listes de privilèges que l’on retrouve sont spécifiques aux pays occidentaux (et le plus souvent, les Etats-Unis).
Bien que l’oppression soit un problème mondial, l’expérience faite de l’oppression diffère selon les zones géographiques.
Pour lutter efficacement contre les systèmes d’oppression quasi-universels, nous devons avoir une approche unifiée, globale.
Être capable de reconnaître votre privilège est la première étape dans la lutte contre l’oppression. J’espère que cette liste vous a donné une meilleure idée de ce privilège occidental et de son fonctionnement.
Si vous faites l’expérience de ce privilège, je vous encourage fortement à lutter contre lui. Renseignez-vous. Éduquez les autres. Écoutez les opprimés. Posez un regard critique sur les idées préconçues que vous avez sur les autres pays, et demandez-vous si ces idées sont oppressives.
Si vous pensez à d’autres exemples de privilège occidental, n’hésitez pas à le partager dans les commentaires !
9 Commentaires for “25 exemples de privilège occidental”
Mochila
dit :Je ne sais pas si cela rentre dans le cadre de ce privilège mais rien que la façon dont on peut voyager en terme de conditions d’immigration est extrêmement différente.
Par exemple, en Thaïlande, il y avait parfois des militaires qui vérifiaient les papiers des gens présents mais à nous (blanches), on ne nous demandait rien.
Après, dans l’autre sens, on est aussi toujours considéré comme riche et souvent vu comme un portefeuille ambulant.
Globestoppeuse
dit :Oui, je me rappelle très bien d’un passage de frontière comme ça, les hommes turcs d’un côté, les blancs, les femmes et les familles de l’autre. Ou encore le privilège de ne pas payer de bakshish au passage de la frontière Bulgarie-Serbie..
Julien Boivin
dit :En fait tout ca c’est humain, ce qui ne veut pas dire que c’est tout est bien et qu’on ne doit pas s’en soucier.
Nous avons tous beaucoup d’information a analyser chaque jour. Pour simplifier notre vie nous compartimentisons. Le plus un sujet est proche de nous, le plus de details nous memoriserons.
Parce que les pays dits avances sont partout dans les medias, et dans l’economie mondiale, ils font partie du quotidien du reste du monde donc plus d’information est retenue a leur sujet. Mais meme pour eux, plusieurs assomptions sont faites. Ma soeur s’est deja fait demande si nous vivions dans des igloos.
En fait je crois que toutes ces choses ne sont pas des privileges conscients mais plutot des assumptions faites suite a la maniere dont les humains gerent l’information. On ne peut pas tout savoir. Donc nous focussons sur ce qui est notre quotidien.
En passant, dans la mesure ou ce sont des privileges alors le privilege feminin existe.
Globestoppeuse
dit :Je crois qu’effectivement il existe un privilège féminin. Il est vrai que la notion de privilège est utilisée pour renverser théoriquement les systèmes d’oppression et faire apparaître ses conséquences aux membres des classes qui ne les ressentent généralement pas, mais ça n’empêche pas que ce soit le différentiel entre les classes qui créent des privilèges l’un sur l’autre. Par contre, il ne faut pas pousser trop loin et faire de conséquences plutôt funestes des privilèges. Ainsi, j’ai le privilège en tant que femme de pouvoir pleurer en public, ou de ne pas être considérée valide en cas de conscription, mais ce n’est pas un privilège que les gens tentent de me protéger contre mon gré parce que je fais partie du sexe faible, pas plus que l’esclave est privilégié d’avoir un maître pour penser à sa place !
Laurent
dit :Ma remarque est un peu hors sujet mais bon …
La 24, comme toutes les autres d’ailleurs, est tout à fait vraie, mais pour le peu que je connais l’Afrique (Burkina, Éthiopie, Madagascar), j’avais en fait moi-même été très surpris que nombre de personnes rencontrées se décrivaient comme africains et non pas burkinabés (ou autre). Eux mêmes s’assimilaient à leur continent, chose que je trouvais assez étrange en fait. Bien sûr, ça n’était pas du tout systématique, mais ça n’en était pas moins fréquent. La raison ? Mystère …
Globestoppeuse
dit :Effectivement…. Je pense que ça serait impensable pour un continent comme l’Asie par exemple, mais de plus en plus pensable pour l’Europe… L’Afrique a aussi une certaine unité politique (notamment en matière de droits de l’Homme, si je ne m’abuse), et ça peut être propre à créer ou entretenir des identités..
Sophie
dit :Intéressante réflexion sur le traitement des médias, je n’avais absolument jamais réalisé les exemples 13 et 14 sur l’accès à internet et la représentation dans les médias sociaux et « l’activisme numérique ». Et alors les liens sur l’histoire unique et la couverture de livre unique… Je n’avais jamais réfléchi à ça. (en gros merci de me faire réfléchir 😉
Et c’est un peu hors-sujet, mais vus les événements du 7 janvier dernier en France, l’exemple 17 m’a particulièrement frappée (solidarité avec votre peuple)…
Globestoppeuse
dit :C’est tellement bouleversant en plus ! Voir défiler les fiers de l’Arabie Saoudite, d’Israël… Et Ali – Fucking – Bongo !!! Pendant que Boko Haram en massacre 2000 au Nigéria… Bordel de merde !
Bon, ça va, je nous ressers du thé…
galswind
dit :je trouve cet article très intéressant? Je me pose beaucoup la question de la « moralité » du voyage, des privilèges qu’on voit ou ne voit pas, de ce qui nous semble évident et justifié à nous occidentaux – par exemple voyager est un droit, on a le droit de voyager partout et quand on veut – mais qui me semble poser des problèmes politiques et moraux sous-jacents (reproduisons nous des rapports nord-sud, ou commence le néo-colonialisme, avons-nous vraiment perdu cet attrait exotique pour une Asie, une Arabie, une Afrique fantasmée?).